1996 quand l’Ukraine a brisé la volonté de 93% des habitants de Crimée de ne pas être Ukrainiens pourtant exprimée clairement par référendum et un président élu

Les habitants de la Crimée n’ont jamais voulu être ukrainiens et quand on leur a demandé s’ils voulaient que l’Ukraine soit indépendante, deux sur trois n’ont pas voté oui. Ils étaient 94% à vouloir l’indépendance … de la Crimée

Le référendum du 20 janvier 1991 en Crimée (alors partie de la RSS d’Ukraine, URSS) a posé deux questions principales :

  1. Voulez-vous le rétablissement de la République socialiste soviétique autonome de Crimée en tant que sujet de l’URSS et participant au traité de l’Union (c’est-à-dire une république autonome directement subordonnée à Moscou, et non à Kiev) ?
  2. Êtes-vous pour la restauration de la souveraineté d’État de la Crimée (version plus nationaliste tatare/criméenne) ?

La première question l’a emporté très largement (94,3 % de oui, participation 81,4 %).Résultat officiel

  • Oui à la restauration de la RSSA de Crimée comme sujet de l’URSS : 94,3 %
  • Participation : 81,4 %

Ce référendum a été organisé alors que l’URSS existait encore, et son but était clairement de sortir la Crimée de la subordination directe à la République socialiste soviétique d’Ukraine pour la rattacher directement à l’Union.

Ce qui s’est réellement passé après le référendum de 1991

  1. Mai 1992 : Le Parlement criméen proclame la « souveraineté d’État de la République de Crimée » et adopte une Constitution qui fait de la Crimée un État quasi-indépendant (avec président, armée, etc.).
  2. Kiev réagit immédiatement : L’Ukraine (sous Léonid Kravtchouk) déclare cette Constitution illégale et menace d’intervention militaire.
  3. Mars 1995 : Le président ukrainien Léonid Koutchma abolit la Constitution criméenne de 1992 et le poste de président de Crimée (occupé par Iouri Mechkov). Élection : En janvier 1994, Mechkov se présente à la tête du bloc électoral « Russie » et remporte l’élection présidentielle criméenne au second tour avec 72,9 % des voix (contre Mykola Bagrov, président du parlement local, indépendant). C’est la première et unique élection présidentielle directe en Crimée, avec une participation massive (environ 60 %).Programme : Son agenda est clair et radical :Rapprochement économique et politique avec la Russie (pensions, double citoyenneté, union douanière).Référendum sur la souveraineté (adopté en mars 1994 : 78 % pour une « souveraineté d’État »).Opposition à l’indépendance ukrainienne (seulement 54 % des Criméens avaient voté « oui » au référendum ukrainien de décembre 1991)
  4. 1998 : L’Ukraine impose une nouvelle Constitution à la Crimée, qui devient simplement la « République autonome de Crimée » avec des compétences très limitées, clairement subordonnée à Kiev.

Le référendum de 1991 a-t-il été « respecté » ?Non, pas vraiment :

  • La Crimée n’est jamais redevenue un sujet direct de l’URSS (l’URSS a disparu en décembre 1991).
  • Elle n’a jamais obtenu le statut de république souveraine ou séparée demandé par une partie des électeurs.
  • Entre 1995 et 2014, son autonomie a été fortement réduite par rapport à ce qu’espéraient les électeurs de 1991.
  • Le seul moment où l’esprit du référendum de 1991 a été « respecté » dans les faits, c’est après l’annexion russe de 2014, quand la Russie a fait de la Crimée une « république » de la Fédération de Russie (statut supérieur à celui qu’elle avait en Ukraine).

93,26 % des Criméens ont voté en janvier 1991 pour que la Crimée devienne un État souverain.
Ce vote est probablement le plus massif jamais enregistré en Europe post-1945 pour l’indépendance d’un territoire.Et il a été totalement ignoré par le droit soviétique puis international :

  • pas reconnu,
  • pas mis en œuvre,
  • jamais considéré comme créant un droit quelconque après 1991.

C’est cette deuxième question, plus encore que la première, qui montre à quel point la volonté exprimée en 1991 a été écrasée par le principe de l’intangibilité des frontières administratives soviétiques.

La deuxième question du référendum du 20 janvier 1991 en Crimée est très souvent oubliée ou minimisée, alors qu’elle était encore plus radicale que la première.Voici le texte exact qui figurait sur le bulletin de vote :Deuxième question :
« Êtes-vous pour le rétablissement de la République de Crimée en tant que sujet de l’Union soviétique et participant au traité de la Nouvelle Union en tant qu’État souverain ? »En clair :
Une Crimée État souverain, membre direct d’une future Union soviétique rénovée (le fameux « traité de la Nouvelle Union » que Gorbatchev essayait de faire signer), donc ni sous l’Ukraine, ni même sous la Russie, mais un État à part entière au même titre que l’Ukraine ou la Géorgie.

Donc oui, les Criméens ont clairement voté en 1991 pour ne plus être sous l’Ukraine.
Mais le droit international de l’époque (et encore aujourd’hui) a répondu :
« Votre vote n’avait pas de valeur juridique pour sortir de l’Ukraine une fois l’URSS dissoute. Vous suivez l’Ukraine, que ça vous plaise ou non. »C’est cette décision froide et mécanique du droit post-soviétique qui a créé, pendant 23 ans, un ressentiment profond en Crimée… jusqu’à ce que la force militaire russe vienne, en 2014, imposer l’interprétation inverse.

Voici le chiffre exact et officiel du référendum du 1er décembre 1991 en Ukraine (celui où toute l’Ukraine, y compris la Crimée, votait pour ou contre l’indépendance).Question posée :
« Approuvez-vous l’Acte de proclamation de l’indépendance de l’Ukraine ? »Résultats nationaux (toute l’Ukraine)

Voix% des votants% des inscrits
Inscrits37 885 555100 %
Votants31 891 74284,18 %
Oui à l’indépendance28 804 07190,32 % des votants76,05 % des inscrits
Non3 087 6719,68 %

Résultats en Crimée (même jour, même référendum)

Voix% des votants% des inscrits
Inscrits en Crimée1 666 400100 %
Votants1 123 29467,5 %
Oui à l’indépendance de l’Ukraine608 49154,19 % des votants36,52 % des inscrits
Non514 80345,81 %

Conclusion très claire

  • Dans toute l’Ukraine : 76,05 % des inscrits ont voté oui à l’indépendance.
  • En Crimée : seulement 36,52 % des inscrits ont voté oui (moins d’un Criméen inscrit sur trois a soutenu l’indépendance de l’Ukraine).

Autrement dit :→ Près des 2/3 des inscrits criméens n’ont soit pas voté, soit ont voté non à l’indépendance de l’Ukraine le 1er décembre 1991.C’est le chiffre le plus brutal et le plus rarement cité :
seule une minorité des Criméens inscrits sur les listes électorales a activement soutenu l’indépendance ukrainienne en 1991.(Et pourtant, 10 mois plus tôt, le 20 janvier 1991, plus de 76 % des inscrits criméens étaient allés voter pour sortir de la tutelle de Kiev…)Ces deux référendums de 1991 (janvier + décembre) montrent à quel point la Crimée n’a jamais voulu faire partie d’une Ukraine indépendante.

DANGEREUX,

Les groupes ultranationalistes ukrainiens qui préparent des opérations terroristes en Crimée (déjà plusieurs tentatives déjouées en 2024–2025).Les décideurs occidentaux qui, sans envoyer leurs propres enfants au front, exigent que l’Ukraine « aille jusqu’au bout » même au prix de 500 000 morts supplémentaires.Les influenceurs et politiques qui rendent toute négociation politiquement suicidaire pour Zelensky en répétant « pas un centimètre de terrain ».

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About pgibertie

Agrégé d'histoire, Professeur de Chaire Supérieure en économie et en géopolitique, intervenant àBordeaux III et comme formateur à l'agrégation d'économie à Rennes Aujourd'hui retraité
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4 Responses to 1996 quand l’Ukraine a brisé la volonté de 93% des habitants de Crimée de ne pas être Ukrainiens pourtant exprimée clairement par référendum et un président élu

  1. Avatar de elba elba dit :

    Je voudrais bien savoir quand et où un référendum a t-il été respecté…

    La volonté des populations est rarement celle des dirigeants.

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    • Avatar de lepiaf18 lepiaf18 dit :

      Cépafo !!!

      Ah, si; De Gaulle, encore lui ! Il est parti… C’était en 1969 il me semble !

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      • Avatar de lepiaf18 lepiaf18 dit :

        J’ai eu peur d’avoir écrit une bêtise alors je suis allé voir, voilà ce que dit Gogol:

        « Le 27 avril 1969, le non l’emporte à 52,41 %. La question posée aux Français était la suivante : « Approuvez-vous le projet de loi soumis au peuple français par le président de la République et relatif à la création de régions et à la rénovation du Sénat ? ». La participation est de 80,13 %. »

        P’tain de temps, ça ne me rajeunit pas !

        Sarko, quand tu sera de nouveau dans 9 m2, fais 10 fois le tour par jour en guise de mea culpa !

        Quant à notre mini Jupiter actuel, pas étonnant qu’il prononce le mot mais ne se risque pas à poser la question…
        Il a juste sans doute pas trouvé de formulation permettant d’espérer un oui, fusse-t-il symbolique !

        Autres commentaires, le sujet était la « décentralisation et la réforme du Sénat »; sujet quelque peu « futile » au 1er regard, mais à l’époque les français ont dit non !
        N’empêche, Hollande a validé le passage à 13 « grandes régions », régions qui prennent de plus en plus de « pouvoir » alors que ce sont des entités « non élues ». Et on retrouve le même « problème » au niveau des désormais « communauté de communes ou d’agglomérations.

        qui donc a parlé de mille-feuilles et de la dilution des compétences et des flux de pognon qui vont avec ? non pas tant que l’inflation concerne en fait les « personnes », mais surtout les « postes de rémunération ». un président de communauté de commune est en général un des Maires ou adjoint de cette communauté, sauf que ça devient de fait… un cumulard !
        Et tout ça pour faire bien sûr, le même boulot, car en fait ce sont les Communes qui délèguent les tâches…

        On est bien dans un cercle… vicieux !

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      • Avatar de elba elba dit :

        Ah oui, je l’avais oublié, De Gaulle. Ca doit bien être le seul référendum qui ait été respecté.

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